mercredi 12 février 2014

BURKINA FASO : LA CRISE QUI VIENT

Le regard de Marcel Amondji

Manifestation à Ouagadougou
(Photo : jeuneafrique.com)
La première décade de l’an de grâce 2014 nous avait apporté deux nouvelles du fameux « pays des hommes intègres », notre autre voisin du Nord pas vraiment fraternel : une très bonne et une autre beaucoup moins bonne.

La bonne nouvelle, c’est la menace très réelle et de plus en plus précise d’une grandiose implosion du « parti » de Blaise Compaoré, le soi-disant Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP)…

Bon, inutile de vous torturer les méninges pour savoir si cela a vraiment un sens, ces mots « congrès pour la démocratie et le progrès » associés au nom de Blaise Compaoré et autres « démocrates » et « progressistes » Françafrique-compatibles ! Évidemment que ça ne veut rien dire. C’est d’ailleurs pourquoi ils s’en sont servi pour désigner cette façade purement décorative derrière laquelle le fantoche de Kossyam, de plus en plus décrié par ses sujets mais toujours fort de la protection de ses maîtres français, peut se permettre de jouer les « despotes éclairés », en attendant de se rendre inamovible, voire de commencer une dynastie en installant son petit frère François dans le fauteuil présidentiel lorsqu’il faudra bien qu’il le quitte.

Longtemps la supercherie a plutôt bien fonctionné, jusqu’à permettre même à « Beau Blaise » de jouer les « facilitateurs » ici et là. Enfin, c’est-à-dire qu’il facilitait surtout les entreprises subversives de ses maîtres chez ses voisins proches ou lointains : le Liberia avec Charles Taylor, la Sierra Leone avec Fodé Sankoh, l’Angola avec Savimbi, la Côte d’Ivoire avec les Ouattara et Soro. Ça marche beaucoup moins bien aujourd’hui. Ce qu’il reste de citoyens intègres parmi les Burkinabè après toutes ces années de tyrannie, de trahisons et de crimes ne veulent plus de ce système, ni de celui qui l’incarne. Et – nos lecteurs le savent bien – cela fait déjà plusieurs mois qu’ils le clament haut et fort, soit directement dans la rue, comme le le 18 janvier, soit par le truchement de leurs organisations représentatives, partis politiques ou syndicats, les uns et les autres tendant de plus en plus à fédérer leurs forces et leurs efforts afin d’obliger Blaise Compaoré à débarrasser le plancher à la fin de son mandat en cours.  

Le revers de la médaille 

C’est dans ce contexte de fronde populaire généralisée que le CDP a vu la défection de quelques-unes de ses plus grosses pointures : « Dans une lettre ouverte au secrétaire exécutif du Congrès pour la démocratie et le progrès, datée du 4 janvier, plusieurs cadres historiques du parti du président Blaise Compaoré ont annoncé leur démission. Suivis par de nombreux militants, ils pourraient prochainement créer un nouveau parti d'opposition » (Jeune Afrique 06/01/2014). Ce qu’ils ont fait solennellement le 24 janvier, sous le nom de « Mouvement du Peuple pour le Progrès » (MPP) dont les principaux dirigeants sont : Roch Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré, l’inévitable et apparemment indestructible trinité d’éternels revenants.

Dans leur lettre de démission, ces fugueurs de luxe reprochaient à leur parti « les violations répétées de ses textes fondamentaux, la caporalisation de ses organes et instances, les méthodes de gestion fondées sur l'exclusion, la délation, les intrigues, l'hypocrisie, la coterie, [qui ont fini, selon eux, par transformer le CDP en] une affaire de copains [dans laquelle] les démocrates et les progressistes qui l'ont fondé […] ne [se] reconnaissent plus […]. » Et ils concluaient : « La démocratie ayant disparu au sein du parti au pouvoir, elle ne peut qu'être menacée au niveau national compte tenu de la place et du rôle occupés par ce parti dans la gestion des affaires de l'Etat. Et c'est justement le constat que nous faisons quand, au lieu d'engager un débat préalable sur ces questions controversées, nous sommes en train d'assister à des tentatives d'imposer la mise en place du Sénat aux forceps et à des velléités de réviser la Constitution dans le but de sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels dans un contexte où le peuple est profondément divisé. Le constat étant maintenant établi que la vision démocratique et progressiste ne peut plus prospérer au sein du CDP, et que notre contribution est rendue impossible, nous avons le devoir d'en tirer toutes les conséquences. »

Tout cela n’est évidemment que prétexte. La vérité, c’est que toujours les rats quittent le navire quand le naufrage menace. Tout indique en effet que le régime fantochard né du crime et du parjure le 15 octobre 1987 n’en a plus pour longtemps. Ce dont nous, du Cercle Victor Biaka Boda, ne pouvons que nous réjouir avec et pour nos frères Burkinabè.

S. Diallo et B. Compaoré
Bonnet blanc, blanc bonnet
Mais – car il n’est point, hélas ! de médaille qui n’ait aussi son revers – l’excellente nouvelle s’accompagnait d’une autre beaucoup moins réjouissante : c’est que les plus illustres d’entre les démissionnaires ne sont pas précisément des gens plus recommandables que Blaise Compaoré. Certains d’entre eux étaient déjà ses complices lors du meurtre de Thomas Sankara, suivi de l’élimination brutale du commandants Jean-Baptiste Lingani et du capitaine Henri Zongo, qui furent exécutés officiellement « pour complot », mais en réalité parce qu’ils n’avaient pas accepté de marcher dans la combine françafricaine de Blaise Compaoré et consort. Les autres, même quand ils n’ignoraient rien des crimes sur lesquels ce régime fut fondé ni ceux par lesquels il se soutenait, se sont tus, ce qui était une autre manière de s’en faire les complices. Tous étaient des cadres historiques importants du parti au pouvoir, et ils ont longtemps occupé des fonctions-clés au sein de l'appareil de l'État fantoche.  

Constant dans l’inconstance 

Le cas peut-être le plus emblématique à cet égard, c’est celui de Roch Marc Christian Kaboré. Il fait figure de chef de file de cette dissidence, pour le moment. Personnalité moins sulfureuse – de notre point de vue – qu’un Salif Diallo ou un Ablassé Ouédraogo, par exemple, son histoire personnelle n’en est pas moins liée que les leurs à l’histoire du système politique qu’il brocarde aujourd’hui. Engagé aux côtés de Blaise Compaoré dès le lendemain de son coup d’Etat téléguidé contre Sankara, Kaboré fut successivement ministre puis ministre d’État des Transports et des Communications (1989-1990), ministre chargé de la Coordination de l’action gouvernementale (1991). Elu député en mai 1992, il continua son ascension au gouvernement en devenant ministre des Finances (1992-1993), puis ministre chargé des Relations avec les Institutions jusqu`à sa nomination comme Premier ministre le 22 mars 1994. Lors de son mandat de Premier ministre, il privatisa certaines entreprises d`État burkinabè dans des conditions assez obscures. A peine deux ans plus tard, ses relations avec Blaise Compaoré s’étant détériorées, il dut présenter sa démission (6 février 1996), mais il ne quitta pas le sérail, puisqu’il devint conseiller spécial du président. Réélu député aux législatives de 1997, il devient premier vice-président de l`Assemblée nationale. Il s`investit aussi dans le parti présidentiel, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), dont il devint le secrétaire exécutif national en 1999. Il fut élu président de l`Assemblée nationale le 6 juin 2002. De 2003 à 2012, il était le président du CDP.

Jusqu’à une date récente, Roch Marc Christian Kaboré était un chaud partisan de l’abrogation de l’article 37 parce que, clamait-il, « La limitation du nombre de mandats est antidémocratique ». Qu’est-ce qui a bien pu pousser ce Roch-là à changer si radicalement d’avis aujourd’hui sur le même sujet ? Quand on lui pose la question, sa réponse se veut habile, mais elle n’est guère convaincante : « …en politique et dans tous les domaines, l’erreur est humaine. Aujourd’hui, ma position a changé et j’estime que ce qui est en jeu, c’est la paix sociale de ce pays. Et je voudrais officiellement faire mon mea culpa au peuple burkinabè sur cette position que j’ai défendue en son temps ».

Comment croire à la sincérité de ce repentir quand on connaît le tout nouveau président du « Mouvement du peuple pour le progrès » tel que Jean-Pierre Béjot, meilleur connaisseur de la faune politique burkinabè que nous ne saurions l’être, l’a décrit dans un article récent : un opportuniste chanceux et souple d’échine, qui a fait une longue et belle carrière à l’ombre de Blaise Compaoré, le mercenaire françafricain décomplexé et adulé.[1] Ce carriériste lisse et sans états d’âme aurait pu, s’il était vraiment sage ou s’il se souciait réellement des intérêts bien compris de ses compatriotes, se contenter des lauriers de cette indéniable réussite et se retirer dans la dignité mais, incurablement « constant dans l’inconstance » comme dirait Béjot, il n’aura pas su résister à la tentation de devenir khalife à la place du khalife, fusse avec l’aide du Diable ! Dès lors il n’est guère vraisemblable que son apostasie, immédiatement suivie de son ralliement à un Salif Diallo qu’il avait solennellement exclu de la direction du CDP le 17 juillet 2009 – l’un et l’autre en étaient alors, respectivement, le président et le vice-président – « pour manquements graves aux principes organisationnels ayant pour conséquence la remise en cause de la cohésion au sein du parti et de sa Direction, refus de faire une autocritique sérieuse et profonde sur ses actes et remise en cause des positions du parti sur les institutions de la IVe République… », relève seulement des belles et nobles causes dont il se targue.

Pour s’en convaincre il suffit de noter que Roch Kaboré et ses compères ont attendu pour se mutiner le moment où l’opposition populaire au régime fantoche, de plus en plus nombreuse et de mieux en mieux organisée, est en passe de créer les conditions pour, le moment venu, obliger « Beau Blaise » et sa clique à « dégager ». « En fins politiciens, note finement notre confrère Siaka Coulibaly, ils ont saisi l’opportunité pour se repositionner, sachant qu’ils n’avaient plus d’avenir politique avec le CDP ». Il y a sans doute beaucoup de cela dans leur choix ; mais, en outre, il s’agit manifestement pour eux d’empêcher que la crise qui vient ne cause trop de dommages au système qui a fait d’eux ce qu’ils sont. Et, surtout, que la chute inéluctable de Blaise Compaoré ne dérange pas les plans de ceux qui ont comploté le meurtre de Sankara pour s’emparer du Burkina Faso en se couvrant de son masque.

Dans leur lettre de démission vous ne trouverez pas la moindre remarque critique sur l’emprise de la France sur leur pays et sur la plupart des pays de la sous-région. Normal : ces soi-disant opposants au régime de Compaoré n’ont rien à dire contre la France sans laquelle pourtant Compaoré n’est rien. « Pour savoir qui a vraiment le pouvoir dans une contrée, il suffit de regarder ceux que ses habitants n’osent pas critiquer », aurait dit Voltaire. Cela se vérifie particulièrement bien ici, et ce n’est d’ailleurs pas une exclusivité des dissidents du CDP : l’ancienne opposition regroupée autour de Zéphirin Diabré ne se différencie point d’eux à cet égard. Et il en va de même dans tous les pays voisins qui se trouvent toujours, eux aussi, sous la coupe de Paris plus de 50 ans après leur prétendue décolonisation. Bien entendu, notre pauvre Côte d’Ivoire n’y échappe pas non plus, lorsqu’on entend aujourd’hui discourir les fougueux « refondateurs » Pascal Affi Nguessan, Laurent Akoun et autres Justin Koua, ou bien l’impayable Bertin Konan Kouadio, dit KKB, l’apprenti réformateur du PDCI, qui depuis sa piteuse prestation autour du 12e congrès de ce parti, n’en finit pas de s’éteindre et de se rallumer…

Notons enfin que nos dissidents ne sont pas fâchés avec le CDP au point de s’interdire d’avance tout arrangement avec lui dans le proche futur : « Si le CDP renonce au Sénat, à la modification de l’article 37 et rejoint le peuple, il nous trouvera avec le peuple », assurait Salif Diallo lors de la sortie officielle du nouveau parti dans lequel il semble déjà prêt à jouer un rôle éminent dans le dos de Roch Kaboré, comme à son habitude.

Quels changements le Burkina Faso peut-il espérer de ces soi-disant adversaires d’un régime aussi absolument inféodé à la France si, dans leurs proclamations ils n’osent même pas évoquer cette réalité ; s’ils ne sont là que pour tirer les marrons du feu sous le nez d’un bon peuple un peu trop confiant ; et s’ils ne sont pas vraiment déterminés à rompre de manière radicale avec le système Compaoré ? De tels politiciens méritent-ils qu’on leur fasse confiance ?

Certes, c’est aux Burkinabè d’abord que ces questions-là sont actuellement posées très sérieusement par leur propre histoire, et c’est donc à eux seulement qu’il appartient d’y répondre. Mais leur réponse nous intéresse aussi, nous autres Ivoiriens car, selon qu’elle sera négative ou positive, selon qu’elle autorisera certaines gens à revenir triomphalement dans l’arène ou les en bannira définitivement, leur décision aura pour notre pays des retombées heureuses ou malheureuses. 

Ablassé Ouédraogo en voleur de feu 

Parmi ceux de ces dissidents de la onzième heure qui parlent le plus fort, deux hommes nous intéressent tout particulièrement, nous Ivoiriens, à cause du rôle de premier plan qu’ils ont joué naguère dans certains à-côtés de notre interminable drame national, où ils agissaient moins en hommes d’Etat burkinabè qu’en mercenaires au service du néocolonialisme français…

Le premier dont nous voulons parler, c’est Ablassé Ouédraogo. Dans une déclaration bavarde et confuse datée du 14 décembre 2013, il conseillait à Blaise Compaoré de ne pas s’entêter dans ses projets de modification de la constitution et d’instauration d’un sénat. Il fut d’ailleurs le premier à se positionner publiquement comme un éventuel candidat à l’élection présidentielle de l’année prochaine.

Ablassé Ouédraogo est un personnage particulièrement atypique dans le microcosme burkinabè. Déjà il n’a pas étudié dans sa patrie, mais au Gabon et en France, et il n’y avait jamais servi avant 1994, l’année où il en fut bombardé ministre des Affaires étrangères à la surprise générale. Il était, note un observateur, « tellement neuf dans la vie politique du pays qu’un quotidien burkinabè [illustra] sa nomination avec une photo qui n’[était] pas la sienne » ! De 1994 à 1999, au paroxysme de l’engagement du Burkina Faso dans les guerres civiles du Liberia et de la Sierra-Léone, il exercera son ministère avec un zèle vraiment intempestif. Ceux qui suivaient les événements à l’époque se souviendront de son parti pris systématique en faveur de Charles Taylor, ainsi que de son hostilité frisant l’hystérie envers l’Ecomog et le Nigeria qui en fournissait les plus gros bataillons. En 1999, après avoir quitté le gouvernement, et après un très bref passage au cabinet présidentiel comme conseiller spécial, il reprit la route et sa brillante carrière de fonctionnaire international bon à tout. Ce, jusqu’à la veille des législatives de 2012 auxquelles il se présenta au titre d’un parti nommé « Le Faso Autrement ». Il est actuellement l’unique député de sa mouvance.

Ablassé Ouédraogo n’était pas membre du CDP et cela ne l’empêcha pourtant pas d’être un ministre des affaires étrangères décomplexé et particulièrement sûr de lui. De là à penser qu’il avait été porté à ce poste par quelque chose de plus puissant que la simple faveur de Compaoré, il n’y a qu’un pas, et nous vous invitons à le franchir hardiment avec nous.

Au lendemain du grand rassemblement de l’opposition populaire du 18 janvier, sur les ondes de Radio France Internationale, le président du microcosmique et confidentiel « Faso Autrement » s’est découvert une âme de tribun du peuple ; un tribun d’ailleurs bien ambigu : « Nous, nous ne disons pas que nous voulons imposer quoi que ce soit au gouvernement mais c’est heureux que le gouvernement sache qu’aujourd’hui, pour la conquête du pouvoir, les lignes ont bougé. Et rien ne sera plus comme avant parce que la peur est définitivement installée dans le camp du gouvernement. La démonstration a été donnée par le peuple burkinabè samedi et [celui-ci] ne se reposera pas tant que ce qu’il souhaite n’aura pas obtenu de réponse définitive. Et la réponse définitive, c’est la décision du président Compaoré de dire que l’article 37 de notre Constitution ne sera pas modifié, le Sénat ne sera pas mis en place au Burkina Faso. (…). Nous n’avons jamais refusé le dialogue. Pour preuve, le 14 novembre 2013, nous avons été reçus au niveau du chef de file de l’opposition par le président du Faso. Maintenant dialoguer pour dialoguer dans le vide, ce n’est pas nécessaire. Des problèmes concrets sont posés, le président Compaoré doit apporter des solutions ».[2]

Discours typique d’un voleur de feu en quête de dupes ! Plaise au ciel que nos frères Burkinabè ne se laissent plus jamais prendre à ce miel de la démagogie dont le candidat au fantochisme s’est maintenant fait une spécialité. 

L’homme fort du Yatenga 

Le deuxième personnage dont il faut absolument parler ici, c’est le fameux Salif Diallo, que ses compatriotes surnomment tantôt « Gorba », tantôt « l’homme fort du Yatenga ». Avant de connaître une manière de disgrâce à partir de 2008, celui qui aujourd’hui s’est prudemment délocalisé au Niger, était l’éminence grise du fantoche de Kossyam, son bras droit, peut-être même son bras séculier… Il devait ce poste de confiance à sa participation à la fois éminente et discrète à la conspiration qui aboutit au meurtre de Thomas Sankara le 15 octobre 1987. Ce jour-là, au témoignage de Blaise Compaoré lui-même, Salif Diallo était réellement l’alter ego de celui qui devait devenir le chef de l’Etat à la place du héros assassiné : « L’après-midi du 15 octobre, j’étais chez moi au salon avec Salif Diallo, lorsque vers 16h je croyais entendre le bruit de détonations. Je suis sorti et j’ai demandé aux gardes s’ils avaient entendu des coups de feu. Ils ont dit non et je suis rentré. Mais ensuite j’entendais clairement les tirs, je pensais qu’ils venaient du côté de la Présidence et qu’ils s’approchaient. J’ai pris mon arme et Salif Diallo et moi, nous nous sommes planqués contre le mur de l’autre côté du goudron. Les gardes nous ont fait rentrer. »[3]

Devenu le principal collaborateur de Compaoré après le meurtre de Sankara, Salif Diallo eut une part colossale dans les événements du Liberia, de la Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire. On se rappelle qu’il participait à la table ronde de Marcoussis… C’est en étudiant son rôle qu’on comprend combien ces trois « guerres civiles » ne furent, en réalité, que trois actes d’une seule et même tragédie ; trois phases successives d’un vaste complot qui visait – et qui a réussi – à affermir sur notre région, et singulièrement sur notre pauvre patrie, l’emprise néocoloniale de la France, à partir du moment où, avec l’impopularité grandissante d’Houphouët, cette emprise risquait fortement d’être remise en question.

Simple ministre de l’Agriculture au moment de la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, c’est pourtant Salif Diallo qui, s’exprimant au nom de son pays en présence de son compère Blaise Compaoré, niera que le Burkina avait une part dans l’invasion d’une partie de la Côte d’Ivoire par les bandes de Guillaume Soro. Un démenti qui a d’ailleurs plutôt l’air d’un aveu des plus cyniques : « Il se trouve des personnes bien pensantes pour accuser notre pays d’ingérence en Côte d’Ivoire, alors que pour 200 élèves, pour 20000 citoyens sous les tropiques, on déploie des armadas. Que dire alors du Burkina Faso dont environ trois millions de ressortissants après avoir sué sang et eau pour bâtir la Côte d’Ivoire et enrichir certaines multinationales que je me garderai de qualifier sont aujourd’hui massacrés et enfouis dans des charniers ? ».[4] 

La réalité était évidemment toute autre, comme le montre l’article de Valéry Foungbé que nous publions ci-dessous, en annexe, sous le titre : « Quand Salif Diallo nommait les chefs du MPCI ». 

En guise de conclusion 

Si les choses continuent comme les événements de ces dernières semaines le laissent craindre, il est probable que le scrutin présidentiel de 2015 ne changera rien au système politique en vigueur à Ouagadougou depuis le 15 octobre 1987, quant à sa nature, quant à sa finalité, quant à ses méthodes et quant à sa dépendance vis-à-vis de la France. Parce que cette fameuse « crise au sein du CDP » n’aura été qu’une nouvelle « ruse du néocolonialisme », afin que tout ait l’air de changer sans cesser pour autant d’être la même chose. Parce que des hommes comme Salif Diallo continueront probablement d’y jouer les premiers rôles. Des hommes sélectionnés dès l’école pour leur immoralité, et méthodiquement conditionnés pour servir de cheval de Troie au sein de leur propre peuple, contre leur propre patrie. Parce que ce que le Burkina Faso compte encore de femmes et d’hommes véritablement intègres parmi ses élites n’auront pas su repérer et dénoncer aux masses en révolte ces agents malfaisants qui viennent de se mettre en embuscade pour, le cas échéant, leur voler leur victoire sur le fantoche de Kossyam, sa clique et ses sponsors.

Pour bien comprendre ce qui menace nos frères Burkinabè à l’approche de ce tournant décisif de leur histoire, il suffit de jeter un œil sur la « résistible ascension » de celui dont cette « crise au sein du CDP » préfigure le grand retour sur la scène nationale burkinabè. Comment Salif Diallo est-il devenu ce personnage apparemment inexpugnable de la scène politique burkinabè ? Ecoutons ce qu’en dit notre confrère Djibril Touré, même si parfois son propos manque de la précision nécessaire : « Ceux qui connaissent bien le landerneau politique burkinabè et le background des hommes qui l’animent savent bien que Salif Diallo est un corsaire de la République. Baroudeur du mouvement scolaire et étudiant, il n’avait aucune perspective de carrière politique dans le système révolutionnaire quand il revient de Dakar en 1985 avec une maîtrise de droit en poche. Auparavant, il avait été exclu de l’Université de Ouagadougou pour fait de grèves et manifestations illégales ayant causé des destructions de biens publics. Copté par le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) on ne sait trop comment, il était l’un des pourfendeurs zélés de Thomas Sankara et de la Révolution d’Août 83.

Les étudiants burkinabè militants des Comités de défense de la révolution de l’Université de Dakar se souviennent bien que jusqu’au jour de son départ du Sénégal pour le Burkina, il donnait des recommandations fermes aux étudiants syndicalistes quant à la conduite à tenir à l’encontre des partisans de la Révolution. Mais de retour à Ouagadougou à un moment où la Révolution était au faîte de sa popularité rendant illusoire toute velléité oppositionnelle, mais surtout la perspective du chômage prolongé vont conduire Salif Diallo à opérer un rapide retournement de veste. Il se joint alors à la fraction dissidente du PCRV, Groupe communiste burkinabè (GCB) qui soutenait la Révolution.

C’est donc par le truchement d’un des pères fondateurs du GCB que l’étudiant maîtrisard en droit et au chômage est présenté à Blaise Compaoré, alors ministre délégué à la présidence, chargé de la Justice. Pendant longtemps, bien qu’en service au Cabinet du ministre de la justice, Salif Diallo n’était pas intégré à la Fonction publique pour la simple raison que contrairement à l’usage courant, il n’avait passé aucun concours de recrutement ni même bénéficié d’une mesure de recrutement spécial. Garçon de course de Blaise Compaoré, il ne faisait pas le poids devant les vrais ténors, civils comme militaires, acteurs de la Révolution et plus tard de la Rectification qui a porté Blaise Compaoré au pouvoir.

En vérité, Blaise Compaoré avait accepté Salif Diallo à son service sans le connaître. Il l’avait pris dans son Cabinet du ministère de la Justice pour faire plaisir à un de ses amis du groupe communiste burkinabè. Salif Diallo vivait du salaire que Blaise Compaoré acceptait de partager avec lui. En retour, l’étudiant chômeur, en véritable écuyer du tout puissant ministre de la Justice, faisait la liaison entre son Cabinet et les idéologues et/ou acteurs de premier plan du système. Sa mobylette d’écolier de marque Puchoma, couleur gris-clair, sa silhouette filiforme et ses baskets souvent mal lacés, nous nous en souvenons tous. Ce Salif Diallo, distributeur de courrier confidentiel de Blaise Compaoré en son temps n’a joué aucun rôle dans l’avènement de la Révolution.

Plus présent dans l’avènement de la Rectification, il n’a pas plus de mérites personnels, de légitimité historique qu’un Arsène Bognessan Yé, Laurent Sedogo, Gilbert Diendéré, Jean-Marc Palm, François Compaoré, Achille Tapsoba et on en passe et pas de moindre personnalité. Il n’est pas plus camarade de Blaise Compaoré qu’un Théodore Kilmité Hien, Alain Ilboudo, Gabriel Tamini, Simon Compaoré, etc. Sa fidélité au système n’a pas été plus éprouvée que celle d’un Roch Marc Christian Kaboré, Kwamé Lougué, Djibrill Bassolé, Jean-Pierre Palm etc. Certains analystes de la scène politique devraient revisiter l’histoire du Burkina avant de servir les navets sur les épopées surfaites de généraux faiseurs de président. Si une querelle de succession devrait éclater entre des héritiers putatifs de Blaise Compaoré selon leur contribution à sa grande carrière politique, Salif Diallo, serait très loin dans la queue du peloton. Mais à force d’être plus agité, d’user de plus de trafic d’influence et du nom du président pour bâtir son propre nom, s’attirer les subsides de sponsors nationaux et étrangers, il a fini par se faire craindre.

Ses largesses envers des hommes de médias, des leaders de l’opposition et des militants du CDP ont complété les traits caractéristiques d’un politique puissant, entreprenant et efficace. Et pourtant, certains parmi les noms cités plus haut, avec le dixième des moyens que Salif Diallo possède mais surtout avec des instructions clairement données par le président feraient mieux que lui. C’est pourquoi pour qui connaît le paysage politique national, Salif Diallo n’a pas de destin national en dehors du parrainage du président du Faso. Il ne faut donc pas inverser les rôles. Blaise Compaoré a fait de Salif Diallo ce qu’il est et non pas le contraire. »[5]

Ce texte en dit plus qu’il n’y paraît. Pour qui connaît tant soit peu l’histoire des mouvements révolutionnaires de par le vaste monde, même exposée avec cette extraordinaire naïveté, la trajectoire de Salif Diallo évoque immédiatement celle des agents provocateurs qu’on introduit ou qu’on recrute en leur sein pour les corrompre de l’intérieur. A Cuba, au temps de l’affaire de la Baie des cochons, on les appelait « gusanos », c’est-à-dire les vers, tels ceux qui gâtent les fruits… Au reste, quand on se rappelle le rôle éminent du barbouze foccartien Jean Mauricheau-Beaupré, dit « Monsieur Jean », d’une part, et celui du Burkina Faso quand Salif Diallo y était le deuxième personnage de l’Etat, d’autre part, dans l’organisation, l’armement, le financement et le soutien diplomatique des bandes de Charles Taylor, il est clair que l’homme qui, le 15 octobre 1987, attendait sereinement dans le salon de Blaise Compaoré que les tueurs de Gilbert Diendéré et Hyacinthe Kafango en aient fini avec Thomas Sankara, ne s’y trouvait pas par hasard, mais qu’il était déjà en service commandé. Or rien ne dit qu’aujourd’hui Salif Diallo est… démobilisé ? 

Marcel Amondji, écrivain 

 
b
 
Annexe
 
Quand Salif Diallo nommait les chefs du MPCI
 
Il y a cinq ans — 19 Septembre 2002, 19 Septembre 2007 — la Côte d’Ivoire entrait dans une crise armée qui allait lui laisser des séquelles dans l’histoire de sa jeune Nation. L’insurrection armée qui s’est transformée par la force des choses en rébellion a changé le microcosme politique ivoirien. Ceux qui dans un pacte sacré ont attaqué la république se livrent une bataille impitoyable. Au sujet du leadership au sein des Forces Nouvelles, voici ce qui n’a jamais été dit.
Le 19 Septembre 2002, tard dans la nuit, un groupe hétéroclite de militaires ivoiriens en désertion et des assaillants attaquent les principales garnisons militaires ivoiriennes à Abidjan, Bouaké et Korhogo. Le crépitement des armes cessant, les ivoiriens feront le bilan amer de la mort de Boga Doudou, Guéi Robert et plusieurs chefs militaires. A côté de ces morts, le pays a été engagé dans une partition qui dure jusqu’aujourd’hui. Après les premières heures du MPCI qui a revendiqué l’attaque, l’ombre du sergent Ibrahima Coulibaly, dit IB, planait déjà comme le chef des insurgés, l’ex-leader  de la Fesci, Guillaume Soro fait son apparition en se présentant comme le porte-parole du MPCI. Jusqu’en Octobre 2002, tout allait dans le meilleur des mondes entre Soro et IB et même après, c’est à dire jusqu’en mars 2003, date de la formation du gouvernement Diarra.
 
L’intrusion de Dacoury-Tabley
Pendant ce temps, Louis-André Dacoury-Tabley entre en jeu en jouant des coudes pour avoir une place de choix dans la rébellion naissante. IB qui ne connait pas bien Dacoury refuse ses avances appuyées par Salif Diallo alors ministre de l’Agriculture au Burkina. Dacoury qui se serait présenté comme un ancien compagnon de Gbagbo et donc qui en sait beaucoup sur l’homme n’arrive pas à convaincre car IB estime qu’il vient à la rébellion pour mener un combat personnel. Salif Diallo utilise ses relations au Burkina pour amollir Ibrahim Coulibaly qui se résout à nommer Dacoury, numéro deux du MPCI. A ce titre, il vient à Lomé renforcer Soro qui semble très fébrile selon la rébellion. L’homme avait en quelques jours conclu un accord avec la délégation gouvernementale. Pour montrer à IB qu’il avait tort de nourrir tant de réserves à son encontre, Dacoury-Tabley se met à rejeter tous les acquis que Soro venait d’acquérir. A la table des négociations, il se met à agacer tout le monde en faisant des propositions aussi surréalistes que provocantes. Les discussions achoppent pour la simple raison que Dacoury veut plaire à IB. Mais, Dacoury fait douter IB. Il agace également Soro qui également se plaint en sourdine de ses manières. Guillaume Soro suggère avoir avec lui un proche auquel il peut se confier. Il fait alors la proposition à IB de lui adjoindre un ami à lui qui est en Allemagne. Cet ami n’est autre que Sidiki Konaté qui avait déjà manifesté contre le coup d’Etat. Roger Banchi se chargera de faciliter le voyage à Sidiki qu’il rencontre en Allemagne.
 
Tractations autour du gouvernement Diarra
Après Lomé, il est question de former le gouvernement Diarra qui a été entre temps désigné premier ministre à Marcoussis. IB est toujours le maître du jeu puisqu’il est sollicité par bien de personnes pour intégrer l’équipe de Diarra. Au sein des Forces Nouvelles, Messamba qui s’occupait des blessés aux premières heures de la guerre hésite à occuper le portefeuille ministériel des victimes de guerre et de la solidarité. Selon une anecdote, il aurait pleuré en faisant comprendre à son ex-mentor qu’il n’avait pas les capacités requises. L’une des plus grandes tractations en ce moment a porté sur les choix de Hamed Bakayoko et feu Issa Diakité. Voulant maitriser l’administration selon notre source, le leader du RDR fait pression sur IB pour qu’il coopte Issa Diakité à ce poste. A ce niveau encore, IB fait des objections puisque Issa Diakité n’a pas participé à la conception de la rébellion. C’est donc à la suite de toutes ces tractations de l’ombre que « son Excellence », car c’est ainsi que tous les chefs de guerre nommaient IB, va faxer à Seydou Diarra, la liste définitive des ministres des Forces nouvelles. Les témoins de ces discussions sont en vie et attendent leur heure pour donner d’autres détails. D’où vient alors que celui-là même qui a joué un rôle, certes à distance mais prépondérant au sein de la rébellion jusqu’à avril 2003 soit vilipendé par ses anciens camarades.
 
Disgrâce de IB
Nombreux sont ceux qui aujourd’hui n’arrivent pas véritablement à comprendre pourquoi les deux factions  de la rébellion se vouent une haine viscérale alors que celui qu’ils devaient déposer est toujours au pouvoir. Selon nos sources, les bobos de IB ont commencé dès Lomé. En refusant d’accéder à la demande de Salif Diallo d’intégrer Dacoury en 2002, IB est entré dans le viseur de l’homme de main du président Blaise Compaoré. Celui-ci n’a pas apprécié que IB lui tienne tête. A cela, il faut ajouter les brouilles de ce dernier avec Mustapha Chafi et Ahmed Kagniassi. Avec ces puissants hommes — Kagniassi est un homme d’affaires prospère et Chafi est un homme incontournable pour Blaise Compaoré (il était à Abidjan lors de la visite du guide libyen) — il aurait eu des altercations sur la gestion des ressources agricoles dans les zones des Forces nouvelles. La gestion de la filière coton et des régions diamantifères a accentué ces frictions dit-on. Pour compliquer son cas, il a aussi des relations exécrables avec Djibril Bassolé. En 2004, il lui est demandé d’aller séjourner en France pour dit-on rassurer les autorités françaises. L’affaire est si pressante qu’un visa lui et délivré un jour férié. A ce niveau, Abou Faman, un chef de guerre lui déconseille de faire le voyage car il aurait flairé un piège. IB est sous pression et ne sait quoi faire parce que dans la même période, son véritable interlocuteur et protecteur, le Colonel Diendéré est envoyé en stage au Nigéria. Il tombe dans le traquenard puisque le jour même où il s’apprêtait à rentrer à Korhogo via Ouaga en provenance de Paris, il est mis aux arrêts. Pourquoi rentrait-il à Korhogo ? Tout simplement parce que cette ville devait abriter dans les plans de la rébellion, la capitale des insurgés. IB dans les mailles de la police française, le champ était désormais libre pour Guillaume Soro d’asseoir définitivement son autorité sur les Forces nouvelles.
 
IB, Wattao, Soro pourquoi ça coince
Pendant son séjour carcéral en France, un journaliste français confirme à IB ce qu’il s’échinait à ne pas accepter. Soro Guillaume était devenu le chouchou des financiers de la rébellion et avait pris sa place au sein de ses hommes. Pour certains d’entre eux, IB est un couard qui n’a pas eu le courage de revendiquer la rébellion à ces débuts. Mieux, Wattao ne cesse de proclamer que IB n’a jamais été un pion essentiel tant dans la préparation que dans la phase active de l’insurrection du 19 Septembre 2002. Or ce dernier se bat comme un beau diable pour montrer qu’il est le vrai père de cette rébellion. Qui croire ? S’il est hasardeux de pencher pour un camp comme pour l’autre, l’objectivité journalistique incline s’interroger sur cette guéguerre. Qui était le formateur de Chérif, Wattao, Zagazaga et autres lors des exercices que IB dirigeait dans le camp de Farakoro au Burkina ? Wattao peut-il raisonnablement affirmer que IB n’est rien quand lui-même était aux petits soins de ce dernier chaque fois qu’il finissait les séances d’entrainement destinées à attaquer la Côte d’Ivoire. Et puis sur la photo de juin 2001 au Burkina, pourquoi IB était le point focal autour duquel tous les autres dont Zagazaga, Vetcho, Messamba et lui-même se sont mis pour poser pour la postérité ?
 
Tout dépend de Compaoré
En réalité, en dépit de son souci de faire la réconciliation, Guillaume Soro ne peut aller tout seul vers IB pour se réconcilier. Autant la guerre est finie à Ouaga grâce au dialogue direct, autant c’est par Ouaga que la réconcilation Soro-IB se fera. Que Compaoré prennent donc ses responsabilités pour réparer encore ce qui est à réparer après avoir permis que son pays serve de base arrière pour attaquer Abidjan.

Valéry Foungbé
Titre original : « Les derniers secrets de la rébellion ».

Source : L’Intelligent d'Abidjan 19/09/2007
 


 

[1] - « Burkina Faso 2014. "Le Rocco", constant dans l’inconstance. Portrait d’un apparatchik en "opposant de gauche" », lefaso.net 10 et 11 janvier 2014.

[2] - RFI 19 janvier 2014.

[3] - Extrait de l’ouvrage de Ludo Martens : « Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabè ».

[4] - Cité par Alpha  Barry, « Ouagadougou critique la politique française en Côte d’Ivoire »,  RFI 17/12/2002.
[5] - Djibril Touré, « Relations entre Blaise Compaoré et Salif Diallo : Le mythe et la réalité », Lefaso.net 14 avril 2008.

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