mardi 9 juin 2015

Vouloir le changement en Côte d’Ivoire, c’est aussi se prononcer sur la question de notre souveraineté

"Qu'est-ce que tu veux comprendre ? Allez, signe seulement !"

Dans le précédent papier, « Changer la Côte d’Ivoire passe par notre propre changement », je faisais remarquer que le changement réclamé par la Coalition nationale pour le changement (CNC) ne peut se borner à chasser Dramane et le RHDP du pouvoir. Il importe que la CNC nous dise aussi ce qu’elle veut faire avec le pouvoir qui lui sera donné pour un temps par le peuple de Côte d’Ivoire (car le peuple est le vrai et unique détenteur du pouvoir), comment elle entend utiliser ce pouvoir, bref si elle est pour un simple replâtrage ou pour un changement profond. Si la CNC milite pour un changement profond, alors elle devrait faire connaître, le plus tôt possible, sa position sur des questions aussi cruciales que :
1) les détournements de fonds publics commis sous tous les régimes mais restés jusque-là impunis (que compte-elle faire ? Osera-t-elle demander des comptes à tous ceux qui ont volé l’argent public et affichent insolence et arrogance ?) ;
2) la manie des dirigeants et de leurs collaborateurs à laisser nos écoles, collèges, lycées, universités, dispensaires et hôpitaux dans un piteux état et à se précipiter en Afrique du Sud, au Maroc, en Tunisie, en Europe et en Amérique du Nord pour leurs soins et l’éducation de leurs enfants ;
3) le droit de cuissage que se sont arrogé certaines personnes dans le public et le privé avant d’embaucher les femmes en quête d’emploi ;
4) les excessifs pouvoirs et privilèges que le présidentialisme octroie au chef de l’État ;
5) l’argent et les avantages matériels dont continuent de bénéficier les anciens grands serviteurs de l’État ;
6) la réduction du salaire et du train de vie du président de la République, des députés, ministres, PCA et DG ;
7) le refus des personnes devenues riches honnêtement ou malhonnêtement de partager avec ceux qui sont démunis.
Lutter contre ces 7 plaies est certes important mais pas suffisant. Nous devons également rompre avec notre tendance à brader facilement notre souveraineté par la signature d’accords dits de coopération mais qui en réalité ne sont que des traités inégaux. Pour les Africains opposés à l’impérialisme et au néocolonialisme, les accords signés en avril 1961 entre la France et ses anciennes colonies profitaient plus à l’ex-métropole qu’aux pays africains. Ils voulaient donc « des rapports nouveaux, de caractère nettement plus égalitaire et dont le but essentiel serait le développement de leurs États ». Quelle fut la réponse de leurs dirigeants ? Certes, quelques pays (le Tchad, le 19 mai 1964, le Congo-Brazzaville en mars 1972, le Niger en août 1972, le Cameroun le 9 février 1973) demandèrent une révision de ces accords mais, excepté Madagascar et la Mauritanie (ces deux pays sortiront de la zone franc respectivement en mai et juillet 1972), les chefs d’État africains n’exigèrent pas une refonte complète des accords. Ils préférèrent une évolution ou une adaptation de ces accords. Autrement dit, rien ne changea fondamentalement dans les accords de coopération puisque la zone franc et les bases militaires existent toujours dans 5 pays de l’Afrique francophone (Côte d’Ivoire, Centrafrique, Gabon, Sénégal et Tchad)[1] et notre pays fait partie des 14 pays africains obligés, au nom du pacte colonial, de déposer 85% de leurs capitaux à la banque centrale de France. On m’objectera qu’Houphouët n’avait pas les coudées franches et qu’il serait assassiné par le gouvernement français s’il refusait de signer ce traité inégal synonyme de perte de souveraineté. Je répondrai que Moktar Ould Daddah et Didier Ratsiraka retirèrent en 1972 leurs pays de la zone franc sans que le ciel leur tombe dessus et que Mamadou Koulibaly est encore en vie après avoir refusé à juste titre en janvier 2003 de signer les scandaleux accords de Marcoussis qui transféraient une bonne partie des pouvoirs de Laurent Gbagbo à ceux qui en septembre 2002 attaquèrent la République de Côte d’Ivoire et tuèrent des centaines d’innocents. La CNC ne peut parler de Côte d’Ivoire nouvelle sans se prononcer sur la question de la souveraineté. Laquelle souveraineté repose sur trois pieds: la Monnaie, la Défense et la Constitution. La Coalition sera-t-elle intraitable sur le respect de ce triangle ? Nous devons redevenir un pays souverain, ce qui passe par ce que Tchuindjang Pouemi appelle « la possibilité, pour chaque pays, d’orienter sa politique de développement dans le sens qui lui convient, qui assure le mieux-être matériel de sa population et donc le contrôle de l’exploitation de ses ressources[2] ». Je ne refuse pas que la Côte d’Ivoire ait des relations avec la France ; par conséquent, ça ne me dérange guère que l’État ivoirien accorde tel ou tel marché à une entreprise française si cette entreprise présente le meilleur profil pour le travail à faire. Je refuse en revanche que notre pays soit la chasse gardée de la France, que celle-ci intervienne dans nos affaires internes, qu’elle nous dise arrogamment qui doit nous diriger, que ses soldats se promènent partout dans nos villes et villages comme en territoire conquis. Charles Konan Banny, Essy Amara, Kouadio Konan Bertin et Jérôme Brou Kablan, qui se disent fils et disciples d’Houphouët, qui n’avait aucun pouvoir devant la France, sont-ils d’accord avec cette vision des choses ? Question essentielle, car nous ne voulons plus être dirigés par des individus dont le seul objectif est de codiriger la Côte d’Ivoire avec la France ou d’être les sous-préfets de la France en Côte d’Ivoire. Nous ne sommes plus prêts à être gouvernés par des gens qui trouvent normal de signer des contrats ou des accords déséquilibrés de 50 ou 100 ans avec des politiciens et/ou des entreprises français, uniquement parce qu’ils veulent acheter des châteaux, ouvrir des comptes, mettre leurs enfants à l’école ou se soigner en France.
Mais peut-on reconquérir une souveraineté perdue par la faute d’individus cupides, égoïstes et peureux ? Si oui, comment ? Ces questions, certains n’hésiteront pas à les poser. Je leur donnerai la réponse suivante : l’Inde reprit sa souveraineté en chassant l’Angleterre. Il est vrai qu’affronter l’ancienne puissance colonisatrice ne fut pas chose facile, mais les Indiens finirent par avoir gain de cause en 1947. Nous ne devons pas avoir peur de nous battre. La Chine reconstruisit sa souveraineté en se fermant à l’Occident pendant le règne de Mao Zedong. C’est à partir de décembre 1978 que Deng Xiaoping commencera une ouverture économique progressive du pays sur l’extérieur. La Bolivie, l’Équateur et le Venezuela redevinrent des pays souverains après la révolution menée par Evo Morales, Rafael Correa et Hugo Chavez. De quoi s’agit-il ? Les trois leaders procédèrent à la nationalisation de certaines entreprises étrangères. Mais le plus intéressant est qu’ils donnèrent le pouvoir économique à la base. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient bien compris que « c’est à partir du pouvoir politique que le peuple peut entreprendre les transformations au niveau de la structure économique et commencer la construction d’un nouveau type d’État basé sur l’autogestion[3] ». De quelle expérience la Côte d’Ivoire s’inspirera-t-elle pour briser le joug de la domination et de la dépendance ? C’est l’avenir qui nous le dira.
Pour ma part, je voudrais clore cette petite réflexion en insistant sur le fait que Dramane Ouattara, même s’il est nuisible et mérite pour cela, d’être dégagé, n’est pas notre cible première. Ce n’est pas sur lui que nous devons nous focaliser. Comme l’a bien perçu le doyen Marcel Amondji, « Cet Alassane Ouattara que beaucoup de soi-disant opposants désignent comme leur principal, voire leur seul et unique adversaire lors des toutes prochaines échéances électorales, qu’ils se font tous forts de battre dans les urnes, et dont selon eux la défaite résoudra tous nos problèmes, ce n’est pas lui qui gouverne la Côte d’Ivoire – si on peut dire que la Côte d’Ivoire est gouvernée – ; lui n’est qu’un masque derrière lequel l’ambassadeur de France et de louches personnages du genre de Jean-Marc Simon font ce qu’ils veulent, où ils veulent, quand ils veulent[4] ».
Début mai 2015, Essy Amara a déclaré que Laurent Gbagbo a eu tort de faire venir l’ONU en Côte d’Ivoire. Je suis du même avis car l’ONU n’a jamais ramené la paix dans aucun pays. Ses agents ne font que du tourisme ; pire, l’organisation s’est montrée partisane en Côte d’Ivoire non seulement en transportant et en entraînant les rebelles qui ont pris les armes pour que Dramane Ouattara arrive au pouvoir mais en prêtant main forte à l’armée française pendant le bombardement de la résidence du chef de l’État. Je ne comprends pas que, presqu’un mois plus tard, le même Essy préconise un dialogue national sous l’égide des Nations unies. L’ONU serait-elle devenue neutre ? Ne soutiendrait-elle plus Dramane Ouattara ? L’ONU n’a rien à faire dans nos palabres. Essy et ses camarades doivent plutôt nous rassurer sur le fait que, si l’un d’entre eux est élu à la magistrature suprême, il demandera que ces touristes quittent notre pays.

Jean-Claude Djéréké, Cerclecad, Ottawa (Canada)  

 
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Source : CIVOX. NET 8 Juin 2015


[1] - Cf. Guy Feuer, « La révision des accords de coopération franco-africains et franco-malgache », Annuaire français de droit international, année 1973, vol 19, pp. 720-739.
[2] - J. Tchuindjang Pouemi, « Monnaie, servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique », Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980.
[3] - Éric Toussaint, « Venezuela, Équateur et Bolivie: la roue de l’histoire en marche », dans la Revue Inprecor, n° 553/554 septembre-octobre 2009.
[4] - M. Amondji, « Retour sur une image », http://cerclevictorbiakaboda.blogspot.com.

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