mercredi 19 avril 2017

16 avril 2004-16 avril 2017 - Kieffer, « un cadavre dans un placard »

G.-A. KIEFFER

Guy-André Kieffer reste introuvable, treize ans après sa disparition à Abidjan. C’est le statu quo. L’État ivoirien a mis l’embargo sur le témoignage, recueilli le 2 mai 2016, par le juge Cyril Paquaux, du tribunal de Grande instance de Paris et successeur de Patrick Ramaël, et qui aurait pu permettre de faire bouger les choses. 
Ce nouveau témoin, jugé crédible et soutenant bien connaître le «dessous des cartes» franco-ivoiriennes, est un Français installé en Côte d’Ivoire dont l’identité n’a pas été révélée. Il affirme que, selon des confidences, le journaliste franco-canadien aurait été enterré dans le sous-sol d’une habitation bien précise du sud d’Abidjan. 
Mais depuis lors, il est impossible d’effectuer des fouilles à cet endroit. Les autorités ivoiriennes n’ont toujours pas donné leur feu vert. Pis, selon les informations recueillies par la presse française, il est prévu qu’un immeuble soit prochainement édifié à l’emplacement de cette fameuse maison. 
Alexis Gublin, l’avocat de Bernard Kieffer, frère de Guy André-Kieffer, exaspéré, est alors sorti de ses gonds : « Les juges français, conformément à notre demande d’acte, ont délivré une commission rogatoire internationale. Aujourd’hui (novembre 2016), cette commission rogatoire est en Côte d’Ivoire. Pour l’instant, manifestement, la justice ivoirienne ne fait rien alors que la France attend qu’elle participe à la manifestation de la vérité ». 
Pour lui, Guy-André Kieffer est aujourd’hui considéré comme « un cadavre dans un placard ». « Alors qu’on nous avait fait de très belles promesses lors de la transition politique, on constate aujourd’hui que ces promesses sont restées vaines. On voudrait véritablement une bonne fois pour toutes clore ce dossier de façon à ce que la famille puisse se reconstruire », proteste-t-il.
Il n’est pas le seul déçu des blocages dans l’affaire Kieffer. Le juge français Patrick Ramaël, qui était en charge de l'instruction de la présumée disparition du journaliste franco-canadien, a publié, aux Éditions Calmann-Levy, un livre intitulé « Hors procédure », paru le 28 janvier 2015. Ce magistrat évoque, dans cet ouvrage, entre autres les embûches rencontrées aussi bien sous Gbagbo Laurent que sous Alassane Ouattara.
Crime d’Etat sans corps
Le frère cadet de Guy-André, Bernard Kieffer, a sorti, lui aussi, le 16 avril 2015, date du 11ème anniversaire de la présumée disparition de son aîné, un livre aux Éditions La Découverte et intitulé « Le frère perdu ». Il conclut à un «crime d'État au cœur de la Françafrique». Découvrant, au cours de son enquête, de vieux réseaux françafricains, il est convaincu que de nombreux responsables politiques et économiques, d'ici et de France, ont tout intérêt à ce que la vérité ne soit jamais sue.
L’affaire Kieffer est, en effet, l’histoire d’un crime d’État sans corps et certainement d’un complot monté de toutes pièces pour déstabiliser le régime Gbagbo et l’abattre. Ce dimanche 16 avril 2017, cela fait exactement treize ans que le journaliste franco-canadien a disparu. Le mercredi 16 avril 2004, ce spécialiste des matières premières était enlevé par des inconnus sur le parking d’un supermarché à Abidjan et aussitôt, les coupables étaient désignés: l’ex-couple présidentiel (Laurent Gbagbo et son épouse Simone Ehivet) et l’ex-ministre d’État, ministre de l’Economie et des Finances, feu Paul Antoine Bohoun Bouabré. Kieffer aurait découvert les malversations financières du régime et la corruption compromettante dans la filière cacao.
C’est cette seule et unique piste de l’affaire d’État qui sera retenue dans le cadre de l’instruction menée seulement à charge contre les autorités ivoiriennes par le juge français Patrick Ramaël. Le dossier d’instruction n’est fondé que sur les propos contradictoires de témoins à charge qui accablent le régime Gbagbo. L’un est Berté Seydou, se présentant comme le chauffeur de Jean Tony Oulaï, chef présumé du commando qui aurait enlevé Guy-André Kieffer. Sur la chaîne de télévision France3, ce témoin qui se voulait clé, affirmait que le journaliste franco-canadien avait été kidnappé par le commando, puis transféré à la Présidence de la République, où il serait resté deux jours et deux nuits. Ensuite, il aurait été emmené à la « ferme aux volailles ». Où, dans ce « lieu caché des exécutions », il aurait été « mitraillé » sur ordre de Jean-Tony Oulaï.
La justice ivoirienne avait aussitôt lancé un mandat d'arrêt international contre ce Berté Seydou, exfiltré de Côte d’Ivoire par la justice française et qui se cachait en France. L’État hexagonal lui versait, selon Me Rodrigue Dadjé, l’avocat de Mme Gbagbo, un salaire mensuel de 1250 euros (819.945FCFA) sans avoir à travailler. En échange de tels avantages, s’indignait Me Dadjé, Berté Seydou faisait un «faux témoignage» contre Simone Gbagbo et les autorités ivoiriennes.
L’autre, Alain Gossé (en réalité un imposteur du nom de Zinsonni Noubila Paul), qui s’est présenté, toujours sur la chaîne française France3 missionnée, comme un major de l`armée ivoirienne, soutenait que Guy-André Kieffer aurait été détenu dans une cellule des sous-sols de la Présidence de la République. Là, il aurait été torturé, puis abattu, «par erreur» par les membres de l`entourage de Simone Gbagbo: Séka Yapo Anselme, alors chargé de la sécurité de l’ex-Première Dame, Patrice Baï, chef de la sécurité civile du Président Gbagbo, et Jean-Tony Oulaï.
Enquête uniquement à charge.
Alors, les suspects vont se recruter uniquement dans l’entourage du régime ivoirien: Michel Legré, époux d’une défunte sœur cadette de Mme Simone Gbagbo, accusé d’avoir tendu un piège à Kieffer, avait été arrêté et incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca, prison civile); Guédé Pépé Léonard alias James Cenach, journaliste et conseiller en communication du ministre d’État Bohoun, avait été placé en garde-à-vue à Paris; Jean Tony Oulaï, présenté comme le commandant du commando proche de la Présidence de la République ivoirienne, auteur de l'enlèvement, avait été arrêté et incarcéré à Paris. Tous seront relâchés, faute de preuves.
Mieux, un squelette, annoncé comme celui de Kieffer, est exhumé, le 6 janvier 2012, dans un campement (Yaokro) de la sous-préfecture de Saïoua, ville natale de Bohoun Bouabré, dans le département d’Issia et la région du Haut-Sassandra (Centre-ouest du pays). Mais ce fut un bide; les expertises ADN ont été négatives: la dépouille retrouvée n’était pas celle du journaliste franco-canadien mais bien le corps d’un noir. 
Dès la prise du pouvoir d’Alassane Dramane Ouattara, Osange Kieffer, l’épouse du journaliste disparu, avait rencontré le chef de l’Exécutif ivoirien. Une entrevue très positive, selon elle : « M. Ouattara a assuré que la justice ivoirienne allait collaborer pleinement avec le juge français en charge de l'affaire, Patrick Ramaël. Un comité de suivi va être relancé, tout cela devrait faire l'objet de réunions dans les prochains jours ». 
Cette déclaration de principe forte ne sera pas confirmée par les faits. Au point que Bernard Kieffer, frère du journaliste, s'avouera décontenancé par l'attitude du gouvernement Ouattara : « On attendait une plus grande implication des autorités politiques et judiciaires après le départ de Laurent Gbagbo. Or, il ne se passe quasiment rien ».
Il ne se passera absolument rien, en effet. L’enquête qui, selon les détracteurs, ne connaissait pas d’avancée sous le régime précédent, faisait pschitt avec les nouvelles autorités. Le mystère reste entier et l’apathie judiciaire intacte. L’objectif de diabolisation de Gbagbo atteint, les nouvelles autorités ivoiriennes ont choisi d’étouffer l’affaire et de passer à autre chose d’émergent. Le boucan sur l’affaire Kieffer, du vacarme, est tombé dans un silence assourdissant.
Les journaux aussi bien ivoiriens que français qui avaient fait de cette affaire leur choux gras, dans la campagne de lynchage médiatique, ont curieusement tourné la page ; les parents du disparu, eux-mêmes, sont désormais et subitement devenus aphones et le dossier, chiffon rouge chaque fois brandi sous le régime précédent, n’est plus au centre des préoccupations politico-judiciaires. Et l’affaire est désormais aux oubliettes. Comme si la raison d’État avait triomphé de la vérité des faits. Comme si le régime Ouattara refusait de ressortir des cadavres du placard.
Car une succession de faits, tout à fait bizarres, incline à penser que de part et d’autre de l’océan atlantique, Guy-André Kieffer n’aura été, pour les besoins de la cause, que le mouton du sacrifice. Le jour des faits, deux hauts fonctionnaires français débarquaient, coïncidence ou concours de circonstance, le 16 avril 2004 au matin, à Abidjan : le diplomate Bruno Joubert, alors membre de la cellule diplomatique africaine du Président Jacques Chirac, et Nathalie Delapalme, alors conseillère du ministre français des Affaires étrangères, Dominique Galouzeau de Villepin. Ils tenaient, le jour même à l’ambassade de France, une réunion de crise pour des raisons officiellement inconnues.
Neutraliser Kieffer.
Sur l’enlèvement de Kieffer, Joubert dira simplement : « Je n’en sais rien ». Ils ne seront jamais entendus dans le cadre de l’enquête. « A l'ambassade de France à Abidjan, on a même essayé au début de me convaincre qu'il avait fait une fugue avec une maîtresse ! », s'étonnait Osange Kieffer, elle-même journaliste.
Car selon une note confidentielle, en date du lundi 7 avril 2004, de la Direction générale des Services extérieurs (DGSE) du ministère français des Affaires étrangères adressée à Michel Bonnecorse, chef de la cellule africaine de l’Élysée sous le second mandat de Jacques Chirac, il était question de neutraliser Guy-André Kieffer.
« De l’avis du Commissaire principal, les récentes découvertes de Guy-André Kieffer vont indubitablement constituer une source réelle de tensions entre les autorités ivoiriennes et les nôtres. Il semble, qu’il serait en possession de plusieurs documents susceptibles de constituer une menace pour les intérêts français en Côte d’Ivoire. Ces documents auxquels je fais allusion sont, toujours selon notre correspondant local, qui a pu vérifier leur authenticité, des preuves indiscutables établissant de manière formelle l’implication directe de l’Elysée dans la crise politico-militaire qui déchire la Côte d’Ivoire depuis septembre 2002 », indique le document classé secret-défense écrit par Pierre Brochand, alors directeur général de la Sécurité extérieure.
En septembre 2008, la justice ivoirienne lançait alors un pavé dans la mare en avançant la thèse d'une «piste française». L’ex-procureur de la République d'Abidjan, Féhou Raymond Tchimou, demandait l'inculpation de quatre Français, avec lesquels le journaliste avait collaboré : Eric Latham, président de la société Commodities Corporate Consulting (CCC qui a employé Guy-André Kieffer), Stéphane de Vaucelles, DG, Jean-Michel Aron-Brunetière et Robert Dulas, les associés. Ils étaient accusés par la justice ivoirienne d’être les auteurs ou les complices présumés de l'enlèvement, de la séquestration ou de l'assassinat de Guy-André Kieffer.
Mais seuls l’homme d’affaires Jean-Michel Aaron-Brunetière et le barbouze Jean-Yves Garnault, ex-conseiller de Laurent Gbagbo (qui, soupçonné de déloyauté, avait été écarté après le début de la guerre le 19 septembre 2002), avaient été inculpés pour « complicité d'arrestation arbitraire, enlèvement et séquestration ». Ces charges n’ont pas fait long feu car non seulement raillées comme contre-feu et manière de contrecarrer l’enquête de Ramaël, mais levées rapidement après la chute de Gbagbo et l’accession d’Alassane Ouattara au pouvoir d’Etat.
Des munitions aux adversaires.
Après les années de harcèlement judiciaire et médiatique d'un régime ivoirien mal en cour à Paris, l’État français s’est mis à jouer, sous Ouattara, la carte de la banalisation de cette affaire Guy-André Kieffer. Dans la première quinzaine d'octobre 2012, Patrick Ramaël s'est vu refouler, sans conséquence, de Korhogo par le com’zone ou chef de guerre de l’ex-rébellion armée Martin Fofié Kouakou. Celui-ci a refusé de le laisser interroger Patrice Bahi, ancien responsable de la sécurité du Président Gbagbo, qui y était en détention.
Enlisé dans cette affaire, Patrick Ramaël a rendu le tablier le 1er septembre 2013. Il n’a procédé à aucune mise en examen, en dehors de celle de l’Ivoirien Jean Tony Oulaï, finalement libéré. Il a été remplacé par le juge Cyril Paquaux. Sur place, en Côte d’Ivoire, trois hommes sont chargés du dossier: Victor Coulibaly, doyen des juges d’instruction, Christophe Adou Richard, procureur de la République près le tribunal de première instance d’Abidjan, et Ali Yéo, procureur général de la République près la cour d’appel d’Abidjan-Plateau.
Mais l’affaire est au point mort. Et Alassane Ouattara qui a promis, en avril 2012, que « personne ne sera protégé », multiplie les obstacles afin que la vérité n’éclate jamais. Comme si le dossier Kieffer, que des manœuvres tentent de faire disparaitre ainsi des archives du parquet d’Abidjan, courait à son enterrement.
Voilà donc, en attendant une possible ordonnance de non-renvoi, un crime d’État sans cadavre et une disparition sans traces à ranger aux archives des enquêtes non élucidées, mais qui a servi de munitions aux adversaires de Laurent Gbagbo. Comme le bombardement du cantonnement français de Bouaké, le 6 novembre 2004. Qui a servi de prétexte pour détruire tous les aéronefs militaires ivoiriens. Comme le présumé assassinat, le 3 mars 2011, de sept femmes dans la commune abidjanaise d’Abobo-Gare (quartier alors aux mains du « Commando invisible » pro-Ouattara du soldat déserteur Coulibaly Ibrahim dit IB) qui vaut notamment à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé de comparaître devant la Cour pénale internationale, à La Haye, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

M. Bally FERRO

Source : Page Facebook de Bally Ferro 15 avril 2017

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